Outils pour utilisateurs

Outils du site


nos_devenirs-meteorologiques

Différences

Ci-dessous, les différences entre deux révisions de la page.

Lien vers cette vue comparative

Prochaine révision
Révision précédente
nos_devenirs-meteorologiques [2020/05/09 19:24] – créée marinanos_devenirs-meteorologiques [2024/02/08 17:14] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1
Ligne 1: Ligne 1:
-Nos devenirs+**Nos devenirs-météorologiques **  
 + 
 +Texte écrit dans le cadre de la recherche « Le Body Weather Laboratory, pratique contemporaine : le laboratoire du Toucher » menée avec Christine Quoiraud, Alix de Morant et Moni Hunt et soutenue par le Centre National de la danse de 2018 à 2020. 
 + 
 + 
 +**Le Body Weather Laboratory, nos devenirs-météorologiques**, \\ 
 +texte Marina Pirot, co-écriture Alix de Morant. 
 + 
 + 
 +//« Le workshop s'adresse à tous, sans nécessité de formation préalable((Note précisée dans l’intitulé de la communication de plusieurs workshops de la recherche « Le 
 +Body Weather Laboratory, pratique contemporaine : le laboratoire du Toucher », recherche appliquée 2018- 
 +2020 autour du fonds Christine Q UOIRAUD , Médiathèque du Centre national de la danse.)) »// 
 + 
 +Notre recherche « Le Body Weather Laboratory, pratique contemporaine : le 
 +laboratoire du Toucher », s’est laissée imprégner par le climat de crises et de luttes durant 
 +ces années 2018-2020 : les embarcations de migrants, les marches pour le climat, les 
 +manifestations des Gilets Jaunes, les canicules estivales et tout ce qui peut apparaître 
 +comme le corollaire des trois écologies mentale, sociale et environnementale de Félix 
 +Guattari((Félix GUATTARI , Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989. Cf. également Neil CALLAGHAN , danseur et 
 +auteur de « Cultivating culture, Environ-mental bodies : body weather and Guattari’s three ecologies », 
 +Mémoire intermédiaire de Master en études théâtrales, Université de Lancaster, septembre 2008.)). Le triple drame écologique, de l’esprit ou de l’imaginaire, de la relation à l’autre 
 +et à la nature a infléchi notre recherche dans un rapport contemporain à un toucher 
 +sensible, un toucher qui travaille son devenir à la fois pratique, somatique, politique et 
 +esthétique.\\ 
 + 
 + 
 +**Des corps-transducteurs.**\\ 
 + 
 + 
 +À notre manière, selon les contraintes et les opportunités, nous avons pris en considération 
 +les changements de paradigme. Des explorations dans divers milieux, des activités de 
 +groupe ainsi que différentes projections créatives ont façonné notre avancée, ses 
 +agencements, ses activations. Nos corps perméables aux perturbations qui traversent 
 +l’atmosphère, nos bodies-minds 3 en action sont devenus transducteurs des questions 
 +toujours actualisables du Body Weather comme autant d’occasions susceptibles de 
 +provoquer des évènements, allant parfois au-delà de la danse.\\ 
 +Les lieux de nos rencontres, ceux des workshops, ont situé notre travail et l’ont ancré dans 
 +une grande diversité de territoires urbains, péri-urbains et ruraux. Christine Quoiraud a 
 +conduit des marches avec des étudiants en arts, traversant les problématiques de la 
 +migration 4 . Marina Pirot a entrepris des plantations collectives de pommiers sur les ronds- 
 +points devenus jaunes 5 . Alix de Morant a organisé un colloque sur la question de l’interaction qui a intégré les questions des transferts entre art et société 6 . Moni Hunt a 
 +réuni à Londres et avec Christine Quoiraud à Rennes des danseurs familiers ou non des 
 +pratiques Feldenkrais et Body Weather. Autant de situations donnant à ceux que ces 
 +contextes ont pu réunir le pouvoir de penser, de sentir et d’agir ensemble.\\ 
 + 
 + 
 +**L’expérience de la réciprocité.**\\ 
 + 
 + 
 +Dans le Body Weather, la question de la relation, celle de l’interaction, sont expérimentées 
 +depuis une intériorité que stimulent des extériorités 7 . Notre recherche a affiné sa méthode 
 +lors d’ateliers qui ont guidé tout le travail. Un intitulé de workshop, à Réservoir Danse 
 +reprend cette citation tirée du Drive on : « par ces séances d’atelier dans lesquelles nous 
 +travaillons par unités de deux personnes ensemble, nous incarnons le corps qui 
 +n'appartient à personne 8 ». À notre tour, nous avons testé des corps-pluriels dans une 
 +perspective enrichie par les apports du Body Mind Centering® et de la méthode 
 +Feldenkrais, mais aussi, lors d’un module à Nantes en juin 2018, par le frottement avec le 
 +maraîchage. Dans chaque session ont été travaillés des agencements collectifs 
 +d’énonciation tels que : « il s’agira d’étudier les intersections des corps et de leurs 
 +environnements » ou encore « partez d’un point neutre, réinitialisez votre mouvement 
 +avant d’aborder votre partenaire ».\\ 
 + 
 + 
 +L’expérimentation en ateliers procède d’une écoute attentionnelle depuis une polyphonie 
 +sensorielle et la pratique progresse par assemblages, mises en rapports, rencontres depuis 
 +des formes de consciences hétérogènes. Explorant les porosités depuis le corps, les 
 +propositions instaurent des zones d’investigations où se désagrègent et se reformulent les 
 +formes relationnelles elles-mêmes. Elles invitent d’emblée à une implication qui ne fait 
 +aucune promesse autre que celle de l’expérience en groupe ici et maintenant ; l’enjeu pour 
 +chaque participant étant de réinitialiser son engagement à chaque nouveau partenaire. Le 
 +travail sur la conscience, sur l’observation, est abordé comme le moyen de se dépayser, de 
 +se déprogrammer. Le bisoku, par exemple, où il s’agit de se mouvoir à la vitesse d’un 
 +millimètre par seconde dans une sorte de « présent épaissi 9 », procure des sensations qui suggèrent à la conscience toutes sortes d’extensions et de bifurcations possibles. Les 
 +sciences cognitives corroborent ces découvertes à l’étude des connexions synaptiques et 
 +de leur plasticité dans des états d’attention intenses 10 . Si les touchers ré-informent nos 
 +cellules, nos tendons, nos muscles, nos os, nos organes, notre peau depuis leurs 
 +matérialités-mêmes, ils renouvellent sans doute des modes de relations et semblent ouvrir 
 +des potentialités d’actions, de même que les pratiques somatiques réinventent divers « 
 +usages de soi 11 ». « Désherber une parcelle agricole les yeux bandés et en groupe » n’est 
 +plus tout à fait arracher une « mauvaise herbe », ou encore, « toucher le pied de quelqu’un 
 +d’autre qui nous renseigne sur notre propre main », n’est pas du tout « faire un massage ». 
 +On se déplace d’un mode de contact connu, habituel vers des zones d’indécidabilité où 
 +prime l’expérience de la réciprocité. Les responsabilités sont distribuées entre les entités 
 +constitutives de la relation : l’espace, l’autre, humain ou non-humain. Il s’agit simplement 
 +d’explorer la trame qui nous relie les uns aux autres, de tenter de l’habiter.\\ 
 + 
 + 
 +**Laboratoires de l’en-commun.**\\ 
 + 
 + 
 +Qu’est-ce que penser ensemble ? « Changer de partenaire, modifier les rythmes du 
 +travail, réinitialiser sa manière de prendre le bras de quelqu’un d’autre, passer dix minutes 
 +avec un grain de raisin dans la main ou la bouche sans le manger » 12 , autant 
 +d’enchaînements qui participent d’un laboratoire sensoriel et d’un accès au divers 13 . 
 +Pratiquer n’est pas ici incorporer des techniques mais informer un corps des processus de 
 +continuités qu’il peut engendrer avec son milieu, c’est à dire des danses conjointes d’êtres 
 +qui nous touchent et se touchent en nous 14 . Des possibilités d’actions concrètes et 
 +d’expressions se constituent mutuellement depuis les jeux de rencontres nés lors des 
 +ateliers. Bientôt, les touchers deviennent hétérogènes et s’agencent par “intra-actions” 15 .\\ 
 + 
 + 
 +S’il n’existe pas de “communauté Body Weather” (à l’exception peut-être de celle 
 +formée par les danseurs du Mai-Juku 16 qui depuis plus de trente ans ont chacun, isolément 
 +ou de manière collaborative, diffusé, enseigné et fait évoluer les principes fondateurs du 
 +Body Weather), la pratique telle qu’elle a été approfondie dans le cadre de notre projet de 
 +recherche appliquée, sculpte progressivement des espaces de coopération. Les modes 
 +d’intégration comme la discussion 17 , l’écriture, l’observation d’un autre groupe, la danse, 
 +procèdent eux aussi de cette sédimentation. Le laboratoire, le collectif, la permaculture 
 +deviennent les dénominateurs d’expériences communes de l’ici et maintenant, et en circuit 
 +court ! C’est dans l’échange et la réciprocité, dans une « agentivité des assemblages » 18 
 +qui est alors énaction, qu’est rendue possible une expérience sensible du politique. « Dans 
 +la plupart des cas, la danse naît là où il y a du travail, dans un premier temps on travaille 
 +et cela prend racine dans le travail, ce n’est pas quelque chose d’abstrait qui naît dans le 
 +cerveau d’un citadin 19 » a pu dire Tanaka Min, expliquant en 2012 comment son expérience 
 +de l’agriculture a participé pour lui du désir « d’aller chercher au fin fond de son corps les 
 +graines de la danse ». Chez les maraîchers bio, après plusieurs mois de pratiques 
 +régulières dans les champs qui ont suivi le premier atelier public de cette recherche 
 +appliquée, la récolte des pommes de terre en groupe ou le désherbage des champs de 
 +courges deviennent des chorégraphies collectives. « Quand nous plantons, quand nous 
 +tissons, quand nous écrivons (...), nous ne sommes pas seuls. Nous sommes du monde et 
 +les uns avec les autres et notre pouvoir-du-dedans est grand même s’il n’est pas invincible. 
 +En nous, il y a le pouvoir du renouveau 20 ». Les ateliers de notre recherche ont pu, sans 
 +doute, tramer des nouages et engendrer d’autres possibilités de cohabitations.\\ 
 + 
 + 
 + 
 +
 + 
 +
 + 
 +
 +La terminologie choisie par MIN T ANAKA est Shin-tai (mind-body) plutôt que Viku-tai (flesh-body) 
 +( TANAKA , 1986) cité par Neil CALLAGHAN ibid., p.8. 
 +
 +À Strasbourg et à Poitiers en mai 2018, avec des étudiants en arts, Christine Q UOIRAUD est 
 +également intervenue auprès de publics lors de colloques et festivals dans le cadre du programme 
 +Migration/Murmuration et du festival “Eclectic campagne(s)” du 25 au 27 mai 2018 à la Chambre d’eau, Le 
 +Favril. 
 +
 +« LA GRANDE PLANTATION », pensée comme une œuvre d’art citoyenne collective sur les rond- 
 +points et les espaces publics a été lancée avec les participants Gilets Jaunes et Citoyens pour le Climat à la 
 +marche publique du 27 Janvier 2019 à Nantes, http://lagrandeplantation.top 
 +
 +3ème Colloque International Sciences cognitives et spectacle vivant: « Interactions et 
 +intégrations : acteurs-spectateurs en répétition sur scène et dans la salle. » 24 et 25 octobre 2019, Université 
 +Paul Valéry Montpellier 3. https://scsv2019.sciencesconf.org 
 +
 +Frank VAN DE V EN , cité par Neil CALLAGHAN , rappelle lors d’un « Body/Landscape », worhshop 
 +organisé en Islande du 20 au 28 juillet 2008, que T ANAKA Min utilisait l’expression “diving deep outside”, Neil 
 +CALLAGHAN , ibid., p.45. 
 +
 +Drive on, mai 1980. 
 +
 +Donna HARAWAY , « Staying in Trouble: Becoming-with the Creature of Empire », conférence 
 +donnée au California College of the Arts de San Francisco le 20 octobre 2009, https://www.youtube.com/watch? 
 +v=3F0XdXfVDXw 
 +10 
 +Voir les travaux de Michelle OUTRAM , Phd researcher in the ERC-project "Slow Motion: 
 +Transformations of Musical Time in Perception and Performance" Université de Hambourg, 
 +https://www.slomo.uni-hamburg.de/team/outram.html 
 +11 
 +LEVEBRE , 
 +12 
 +13 
 +DESPRET , 
 +Cf. F.Matthias ALEXANDER , The Use of the Self, 1932 ; réédition L’Usage de soi, trad. Éliane 
 +Bruxelles, Contredanse, 2004. 
 +Propositions lors des stages donnés à Nantes en juin 2018 et à Rennes en novembre 2018. 
 +Cf. Donna HARAWAY , « Le rire de la méduse », entretien avec Florence CAEYMAEX ,Vinciane 
 +Julien PIERON , Habiter le trouble avec Donna HARRAWAY , ibid., p.69. 
 +14 
 +Cf. Donna HARAWAY , Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires , 
 +trad. Jérôme HANSEN , Paris Flammarion, 2019, p.152-153. 
 +15 
 +La physicienne Karen BARAD introduit le néologisme d’intra-action pour définir comment les 
 +choses ou les objets (la matière comme le temps et l’espace) ne précèdent pas les interactions mais plutôt, 
 +pour la citer : les « objets émergent au travers d’intra-actions particulières ». Karen BARAD , « Posthumanism 
 +Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter », Signs, Chicago, University of 
 +Chicago Press, vol.28, n° 3, 2003. 
 +16 
 +T ANAKA Min, Katerina BAKATSAKI , Andres CORCHERO , Tess DE QUINCEY , H ORIKAWA Hisako, Seï 
 +N AGATSUKA , OGURI , Christine Q UOIRAUD , Tamaï YASUNARI et Frank VAN DE V EN et d’autres danseurs selon les périodes. 
 +17 
 +Les temps d’échanges entre partenaires ont lieu directement après l’exercice, pendant une 
 +durée minutée qui oblige à la précision du langage employé. Les discussions de groupe ont d’habitude plutôt 
 +lieu à l’issue de la journée de travail. Au Favril, en mars 2019 elles ont été amorcées par la pratique de dessin. 
 +Cf. Marie PONS , « En pratique », Les Démêlées n°4, printemps 2019. 
 +18 
 +Jane BENNET , Vibrant Matter: A Political Ecol ogy of Things, Durham, Duke University Press, 
 +2010, p.34. Karen BARAD définit également l’agentivité en tant qu’énaction (enactment) « et non quelque chose 
 +dont quelqu’un ou quelque chose serait doué », ibid. p.826-827. Tim INGOLD cite ces deux auteures dans son 
 +développement sur l’agentivité dans son ouvrage Faire : anthropologie, archéologie, art et architecture, Paris, 
 +Dehors, 2017. p. 203-204. 
 +19 
 +T ANAKA Min, lors d’une interview pour l’émission radiophonique « le rendez-vous » de Laurent 
 +sur France Culture le 26 septembre 2012, https://www.franceculture.fr/emissions/le-rendez-vous/le- 
 +rdv-avec-michael-lonsdale-min-tanaka-la-chronique-de-jean-marc-lalanne 
 +GOUMARRE , 
 +20 
 +2015, p.53. 
 +STARHAWK , 
 +Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique (1982), trad. Morbic, Paris, Cambourakis,2015, p.53.
nos_devenirs-meteorologiques.1589045078.txt.gz · Dernière modification : 2024/02/08 17:14 (modification externe)