Outils pour utilisateurs

Outils du site


journal_de_bord_chez_les_maraichers_des_couets

Journal de bord d’une saison de maraîchage aux Couëts (extraits)

Marina Pirot (2018-2019)

Chez « les maraîchers des Couëts », à Bouguenais-les-Couëts, commune de l’agglomération nantaise, depuis septembre 2018, j'accompagne le travail en cours, des 2 maraîchers installés en agriculture biologique sur un nouveau site agricole de six hectares. Deux journées chaque semaine avec Jean-Baptiste Fumery (JB) qui m'apprend son travail dans les champs ou sous serres, et deux autres avec Emmanuel Louzier (Manu), le second maraîcher. Ces deux entreprises individuelles cohabitantes du lieu sont aussi deux méthodes différentes, deux « modes de faire » et philosophies du travail avec les légumes. Deux organisations qui diffèrent, se complètent, s’entraident et inventent chacune leur voie pour leur activité en maraîchage biologique dans une zone périurbaine en plein essor. Bientôt, j’ajoute à mon planning à la ferme le vendredi matin afin d’aider Manu à confectionner ses paniers de légumes pour la vente du soir et du samedi matin. À l'arrivée de la pleine saison, en mai 2019, j'intègre l'équipe de Manu par un contrat de travail jusqu'à mi-juillet essentiellement pour le travail de récolte et de préparation à la vente. Les deux agriculteurs m'apprennent les gestes du maraîchage, que je consigne en un journal de bord. Leurs méthodes, mots, conseils, remarques deviennent mes prélèvements après chaque session. Lors du travail dans les champs avec eux, les agriculteurs me partagent aussi parfois leurs réflexions sur leurs corps au travail, au regard de la recherche Body Weather dont ils ont accueilli un des premiers workshops :

“Nos gestes façonnent le paysage” - “Oui, le travail est une danse” - “L'improvisation, c'est quand nos incertitudes rencontrent nos engagements et ça cherche une forme” - “La météo depuis mon corps, c'est sans doute quand je m'écoute et que je m'arrête au cours d'un rang ; tant pis je finirai demain!” - (Jean-Baptise Fumery & Emmanuel Louzier, 2018-2019)

Extraits du journal de bord d’une saison de maraîchage aux Couëts (extraits)

• mercredi 2 novembre 2018 : Vider les serres des pieds de tomates infestées de “Tuta absoluta”. Un stagiaire vient d'étudier cette nouvelle “bête noire de la tomate”, arrivée en France depuis quelques années seulement. Nous arrachons les pieds de tomates et les libérons de leurs systèmes d’accroches, ficelles sur câbles métalliques. “Pas évident comme début de “stage”, Marina!”, Géraldine, employée de JB m’accueille dans leur équipe. Elle remercie les pieds des solanacées pour leur travail de l'été, mais il faut maintenant les détruire complètement pour qu'aucune larve ne passe l'hiver sous serre. Nous les déterrons, ils partiront à la déchetterie. La Tuta absoluta : une larve minuscule qui attaque feuilles et fruits de la tomate, ainsi que d'autres solanacées, dont la pomme de terre, l'aubergine. Son cycle de vie est de vingt quatre jours. Les larves vivent la nuit : le mâle vit dix jours et la femelle quinze jours ; une ponte comprend jusqu'à deux cent quatre vingt œufs. Pour arracher les pieds de tomates, il faut détacher les tiges tutorées, déterrer les pieds, cueillir les dernières tomates, celles pas trop attaquées par la larve et retirer les fils tuteurs suspendus aux fils de fer traversant laserre. Tirer depuis le sol, arracher, détacher, cueillir, déposer en cagettes, retirer les fils, enlever les attaches, laisser au sol. Passer au pied suivant. Les mains verdissent, chaussures et vêtements aussi. Il faudra brûler les pieds, désinfecter les attaches par du vinaigre ou par le gel de l'hiver. L'an prochain, il s'agira de travailler sur les auxiliaires. Des pièges existent avec des auxiliaires. Comment les faire proliférer ? Par fleurs? Odeurs? Sons? Fréquences? Lumières? Les idées fusent. Il faudra vraiment trouver comment faire proliférer les auxiliaires. Repasser trois fois devant un pied de tomate à arracher : comme un geste dé-triplé qui transforme complètement la serre à l’issue de la matinée. Nous sommes quatre à apprécier la lumière matinale filtrée par la serre- membrane. Tri des potimarrons : Les potimarrons récoltés sont conservés sous serres. A deux, nous les trions par taille en le replaçant en cagettes de calibres différents. Les cagettes sont lourdes, on les empile pour trouver une organisation permettant de les saisir facilement. On les couvrira de couvertures en hiver. Leur conservation est parfois délicate, si la température de la serre grimpe ils pourrissent d’un coup mais il ne faut pas qu’ils gèlent. Les potimarrons sont créés au Japon à partir des Seiyo kabocha (courge Buttercup), il en existe des bleus, noirs, gris, blancs, rouges et oranges, ici on adore les brun-verts. On gardera quelques graines pour les semis du printemps prochain (mars-avril). • vendredi 7 novembre : Semis de mesclun en barquettes, cinq à huit graines par godet. Une brouette pour le mélange terreau/eau ; malaxer à bras nus, puis remplir huit palettes de cent cinquante godets d'un coup, attention aux bords, bien racler les bords. Trouer quatre godets d’un coup en y plongeant quatre doigts, d'une profondeur de deux fois la graine, semer en déposant les quelques graines pas trop profond, puis couvrir toutes les palettes avec du terreau un peu moins humide. Enrouler une bâche plastique de trente mètres pour les carottes, enrouler droit, en axe, à deux, je suis avec le stagiaire de JB, notre duo se réajuste à chaque pas. Nous reprenons régulièrement l’enroulé et formulons les questions à poser à JB : comment une telle longueur et lourdeur de bâche permet-elle de garder l’enroulé? La synchronicité de nos basculements d’enroulement s’invente jusqu’à l’essoufflement. Nous cherchons à comprendre une technique qu’on ne nous aurait pas précisée! Poser du bois pour stocker les tuyaux d'arrosage l'hiver : il faut les faire tenir sur des bastaings à visser, etc. Une matinée bricolage avec JB et son stagiaire, c'est aussi une grande partie du travail, me précise JB. On évoque la “Révolution moléculaire” de Guattari, le maraîchage bio en zone péri-urbaine comme une façon de faire de la politique, les clients citadins qui se déplacent au magasin sur une ferme, déplacent de plus en plus de choses infimes (ou non) au fur et à mesure de leur venue. • mercredi 14 novembre :
Finir la construction de la grande “étagère” pour stocker les tubes d'arrosage, il manque des rondelles, on mets des plus grandes, on en met plus. Deux tubes sont solidaires, on les monte ensemble : “voilà comment on résout les problèmes, ils sont accrochés, pas de problème on les monte tous les deux!” Rouler le voile d’hivernage du poireau en plein champ, nous reprenons, moi et le stagiaire, un duo déjà éprouvé sous serres, ce plein champ ne nous effraie plus! Nous façonnons une boule énorme qui m'évoque des travaux d'artistes (les ballots de Kimsooja ou de Thomas Hirschhorn). On évoque les questions des migrants d'une grande actualité ces temps-ci. L'errance, le nomadisme et la mondialisation traitée par ces artistes. JB me parle des grands voyages de certains légumes, des effets de la mondialisation.Novembre : Semer des épinards pleine terre. C’est peut-être un peu tard mais cet automne est doux. Manu souhaite faire un essai, je m’étonne d’un risque qui monopolise presque une demie-serre. On met deux graines par trou. Ce semi d’épinards fait redoubler notre attention. On s’émerveillera de leur premières pousses. Semer des fèves : graine par graine, le long d'un fil tiré au cordeau. Une graine contient plusieurs pieds potentiels. Semer des petits pois dans des trous de plastique : par trois, puis par cinq, par sécurité. On parle des projets : il faudra construire de nouveaux tunnels pour la rhubarbe et le raisin, les pommiers seront derrière. À la sainte Catherine, planter, les kiwis cette année avant tout peut-être. Le semi dans le plastique percé permet un geste automatique qui invite à la discussion. Manu et sa co-équipière partent récolter du céleri en plein champs. Je propose d'ajouter une graine de fève, puisqu'il en reste tant et qu’elles seront perdues. La serre est un cocon accueillant. Planter la mâche : il s’agit de réaliser un motif régulier, des losanges, sur un rang de trente mètres, quelle galère! Déposer les plants dans leurs mottes de terreau de façon si régulière en suivant le rythme de mes 2 partenaires, Géraldine et JB dans le rang d’en face est pour moi un mystère. Géraldine m’indique qu’intégrer le motif à effectuer prend du temps. JB plante ses rangs à une vitesse si vertigineuse, que je me sens en plein bizutage, il se moque de mes lignes ondulantes! Planter les pommes de terres, sur deux sièges derrière le tracteur, nous sommes deux à déposer un tubercule dans le sillon à peine creusé par la planteuse. Sitôt notre geste, le sillon recouvre la pomme de terre. Le geste me demande une concentration pour ajuster un rythme avec la vitesse du tracteur! Le coéquipier devient rapidement une force : coordonner son rythme à deux, respirer à chaque pomme de terre, l’accompagner à bien se déposer au sol, croiser les mains pour attraper le légume suivant dès que le premier est déposé dans le trou, et suivre le son du tracteur. Lors de mes divers sessions de plantations (navet, poireaux, betteraves, choux, etc), assise sur la bineuse, derrière le tracteur, je découvrirai quelques secrets : bien organiser ses caisses de plants à attraper, se repositionner dos et jambes régulièrement, respirer en rythme, celui qui s’invente sur le moment et avec le coéquipier de plantation. De magnifiques sessions, assez épuisantes cependant. • Janvier 2019 : Désherber les carottes : “Il est bon de changer de position de temps en temps, ne pas se faire mal au dos, oui je mets des genouillères!” Jean-Baptiste m’invite à la précision : les adventices sont souvent plus hautes que les carottes parfois à peine sorties de terre, mais le moment est crucial, c’est une course pour un combat vers la lumière. Plus on désherbe proprement dès les premières pousses, plus les carottes seront victorieuses. Ne laisser aucune autre herbe que les carottes, désherber proprement. Je me laisse prendre à un travail méditatif, jamais répétitif malgré le geste quasi identique, à chaque plant de carotte son environnement spécifique, il s’agit de lui retirer des compagnes trop gourmandes! Ce désherbage comptera plusieurs sessions, toute une planche de carotte de huit rangs invite à la créativité des positions. JB s’allonge parfois sur le côté, je suis souvent assise en squat entre mes jambes recroquevillées. Il est bon de penser à se détendre régulièrement la nuque. Couper les céleris : dégager les céleris sont stockés en tas, dans un abri dans la terre, sous une bâche. Au sec, hors luminosité et entouré de terre pour une meilleure conservation. Il s’agit de les retirer un à un de la terre, faire une pointe propre au couteau de façon à ne plus voir les racines. On me confie un couteau moyennement tranchant, dans le froid, dehors. Les mains ont froid, les genoux sur le sol, le tas de céleris est immense mais les cagettes se remplissent pour la vente du soir. Chaque légume doit être prêt et je pose un nouveau regard sur chaque céleri qui semble changer d’apparat pour “le grand soir”!Récolter les blettes. Le matin dans le serre : couper à ras, la tige de blette. Chacune est solide, forte, craquante. Le réparateur nomade de la CUMA est près de nous, pour le moteur du tracteur. Il annonce que la confédération paysanne a gagné les dernières élections à la chambre d’agriculture hier, la victoire et grande! Ils se réjouissent avec JB, notant cependant que c'est le seul département où c'est le cas. Agriculteurs et paysans ne pratiquent pas le même métier. Récolter les radis. JB me présente sa technique : “tu vois, moi je fais le grand écart, et je récolte entre mes deux pieds, environ trente radis dans une main, oui, il faut de grandes mains! Après il faut gérer l'élastique pour enserrer la botte de radis : ne pas le faire craquer, et le faire passer par-dessus les radis ». On commence par se secouer les mains tous les deux de façon à assouplir les doigts, comme un échauffement à deux, au cœur de la grande serre. A chaque récolte, je craque plusieurs élastiques… •1er mars 2019 : Taille des framboisiers : couper le haut des tiges avant les premiers bourgeons, comme une coupe chez le coiffeur, les plants de framboisiers sont prêts pour une nouvelle saison! Le geste de couper accompagne la montée de sève dont il s’agit de repérer l’arrêt. Ne pas manquer le bourgeon, signal de la taille de coupe. Jeux d’épaules, repérage de l’embranchement à couper. Griffures des tiges hautes, comme si elles n’appréciaient pas la coupe ! Taille des cassis : “Tant pis, c'est trop tard, ce serait de la “torture ”, on le fera l'an prochain.” Manu se résout à laisser passer une année. Son mot de ” torture“ m’ouvre à son rapport aux petits fruitiers, comme un accès à un pan de son dialogue avec cette espèce. Je pense à la collaboration qu’il entretient avec ces fruitiers : leur bon soin au bon moment pour bénéficier de leurs fruits en été. Une relation d’écoute attentive. •7 mars 2019 : Les caisses rouges de plants achetés sont dans la voiture, elles ont des rehausses pour protéger les plants de courgettes, betteraves et navets, trois planches ont été préparées dans “la serre du fond”, proche du hangar pour planter. On commence par les courgettes, un mètre entre deux plants, on coupe une branche sèche d’un mètre environ, comme un étalon de mesure, ça devrait tomber pile. On triche un peu, rapprocher cinq, six plants nous permet d'en intercaler deux facilement, le mouvement remplace le calcul. Je vois bien que Manu avait prévu remonter jusqu'en haut du rang, “on en déplace encore trois et on pourra en intercaler un” me dit-il. Il porte la caisse rouge des plants sous un bras, me donne un plant, je le place au sol, puis un autre, encore une fois, déplacement en crabe, accroupie. On recommence, et on recommence encore jusqu’au bout du rang, en un rythme qui s'invente à deux. •même jour, même serre :
Nous tendons deux cordeaux, fil de quarante mètres de long, j'en déroule un marchant en crabe entre deux planches préparées, le fil s'emmêle par moment. Manu tire le cordeau sur la planche d'à-côté, il marche à reculons, il semble glisser sur le sol, voler à raz de terre, le fil le suis dans son agilité. On plante les tubes à chaque extrémité, enfoncés dans la terre. Arrive Alvin, un stagiaire, nous ferons les betteraves tous les deux, côté extérieur du cordeau de façon à faire quatre lignes. Manu m'explique, il faut des plans les plus petits possible, plus ils sont jeunes, mieux c'est, les petits rattraperont vite les grands, c'est une règle pour toutes les plantes, planter le plus jeune possible, “c'est un grand stress pour les plantes de changer d'environnement”, l'idéal serait le semi en pleine terre.” Manu me montre la plantation des navets, aucun mot n'accompagne son geste hormis “voilà”, comme une évidence! Il enfonce deux doigts dans la terre, enfourne la motte du plant, recouvre le tout d'un seul geste, on dirait un même mouvement continu, et il passe au suivant : deux doigts, trois temps, deux mains, trouer,enfoncer, replacer la terre, trouer, deux doigts, planter…sa posture se module tout au long des deux heures trente de plantation : accroupi, jambes écartées, dos allongé, nuque recourbée, de plus en plus, puis nuque allongée au retour du rang, accroupi dans l'autre sens, jusqu’au dernier plant. A la fin de notre quatrième rang de betteraves, Alvin s'essouffle, mal au dos, aux jambes, en sueur. Je finis seule, il est 17 heures, Alvin doit s'arrêter, ce sont ses horaires de stage. Manu termine avec les petits plants issus des semis faits ensemble un mois exactement plus tôt, “nos” petits plants de navets sont encore plus beaux que ceux qu’il vient d’acheter! On termine la session de plantations : je ré-enroule les cordeaux, le fil s'enroule en oblique, je me dis u ne s'emmêlera pas au prochain déroulé! La serre est magnifique mais les plants ont soif. Nous plaçons le système d'arrosage de part et d'autre des deuxième et quatrième rangs. La rigidité des tuyaux nous impose un duo bien accordé pour que le tube n'écrase aucun jeune plant. On doit marcher à la même vitesse, de part et d'autre des plantations, mais ce sont les tubes entre nous qui semblent nous imposer un rythme commun. Les plants de courgettes paraissent si forts par rapports aux autres plantations! Pourtant ils sont bien fragiles, on va leur mettre un voile de protection, pour qu'ils aient bien chaud. “C'est un peu tôt pour planter des courgettes à cette saison, mais c'est si apprécié ensuite, au début du printemps, l'année dernière ça avait bien marché”me dit Manu. On place de vieux arceaux dont les boucles se prennent les unes dans les autres, une récupération de l'ancien patron de Manu, “avant les maraîchers n'avaient que ça, pas de grande serres comme nous!” On va mettre le voile en double épaisseur. Déplacer une telle longueur de voile depuis le hangar, le fait traîner dans la boue encore bien présente aux abords du hangar. Ce sont des voiles de cent mètres, pas coupés, deux voiles sont emmêlés sans doute, on les porte tous les deux, c'est comme s'accorder pour les tubes, il faut se suivre dans la boue entre le hangar et la serre. Manu laisse traîner un bout, le voile est déjà sale par ailleurs… il le déplore “mais je l'ai laissé dans les champs trop longtemps, il faudrait que je fasse attention ; comme il est percé, on va mettre une double épaisseur.” Il hésite, ça ne ferait pas assez de lumière. Nous positionnons une bonne couette, une double épaisseur de voile mais qui doit laisser passer la lumière. “Je ferme les portes de la serre pour la nuit, ensuite, je vais lancer le système d'arrosage pour une une heure, oui tant que ça, les betteraves surtout, en ont bien besoin, on le voit!” •Mars (autres jours) :
Les semis de betteraves, navet : une graine par godet, deux virgule cinq fois la profondeur de la graine, je les enfouis sans doute un peu trop. “Les graines d'épinards, j'hésite, elles sont peut être un peu vieilles, on en fait deux plaques tout de même” tente Manu. Elle ne lèveront pas bien, les graines seront à jeter. La graine a une durée de vie de deux à trois ans. Les endives à arroser : de vraies princesses! Du noir, du chaud, et ne surtout pas les laver pour ne pas les abîmer! Un bon légume bien apprécié et onéreux, car oui un sacré travail de suivi pour quelques endives ! Les céleris à conserver, dans des caisses, dans la terre (Manu) ou bien dans un grand tas de terre en plein champs (JB), sont à protéger avec des grosses couvertures + des bâches. Tailler les framboisiers (essayer de finir) Monter la serre arceaux pour les kiwis. Une nouvelle plantation se prépare, mais les kiwis craignent le gel. •18 avril 2019 :
Visite de palestiniens avec une association que connaît Manu, l'un d'eux est maraîchers près du mur, en Palestine.On nous explique que certains agriculteurs n'ont pas accès à leur terres, des colonies d'Israël. Par exemple, un viticulteur voulait emmener des français l'aider à tailler sa vigne, ils n'ont eu accès qu'à un champ sur deux. Manu présente son activité. Le palestinien cultive mangue, kiwis, etc. Les tomates ne sont pas arrosées chez lui, les racines plongent jusqu'à deux mètres de profondeur… Il connaît la consoude, pour le purin. On m'explique : « la consoude : soude les blessures de la peau, d'où son nom ; comme le millepertuis a mille puits dans sa fleur, des petits trous pour les fleurs! », les fonctions ou les formes donnent les noms. Le palestinien ne connaît pas la coriandre, il tombe sus la charme de cet aromatique ! Il pose beaucoup de questions à Manu sur l’eau. L'eau est un bien commun « volé » en Palestine, nous explique- t-il. Il est interdit de creuser à plus de quarante centimètres du sol. Ils ne sont pas non plus autorisés à récolter l'eau de pluie. Les agriculteurs sont contraints d'acheter l'eau pour cultiver, sur leurs propres terres. Son visage s'attriste, puis s'indigne. Il pratique sur deux milles mètres carrés, une culture maraîchère dense, par associations de cultures en double rangs. Par exemple : salade/oignon/radis/salade/oignons/radis ; il n'utilise pas de plastique mais un paillage de vingt centimètres de hauteur. Les graines ont quatre cents ans d'âge, elles sont biologiques mais sans certificat, cependant authentiques. Il en propose à Manu dont l’achat de splants est un de ces plus gros postes de dépenses, mais Manu a besoin d'une certification bio pour pouvoir les semer et ne pas perdre son agrément. Ils chercheront un moyen de rester en contact, par l'échange. Aucun prêt bancaire n’est possible en Palestine, une forme d'AMAP investit pour lui et est payée en légumes. Manu a investi cinquante mille euros pour son installation sur ce lieu. Le palestinien questionne le rapport à l'autonomie de Manu, le forage, l'électricité, les graines, les serres, “qu'est-ce que tu dois doit faire venir de loin?, qu'est ce qui engendre le plus de frais?”. Les graines, les plans. Le palestinien souhaite vraiment envoyer des graines, cela ne coûte rien dans son pays. Les framboisiers : Finir de les tailler, ajouter une hauteur de fil de fer sur les poteaux pour les branches hautes et celles à venir. Slalom entre les banches en parties hautes, jeux d’épaules et nouvelles griffures des plantes mais placer les fils à deux instaure un trio avec le rang de framboisiers rebelles. Les pieds relevés semblent allongés, grandis car tenus par les fils. Construire une barrière pour les cassis. Les plants qui voisinent les framboisiers sont plus bas. On les contraint derrière une barrière métallique car la rigidité des tiges impose un matériaux tuteur non pliable. Un parfum délicieux se dégage, comme un remerciement, les plants sont contenus d’un côté, ils semblent eux-aussi s’être redressés! •fin avril 2019 :

On essaie de remonter les pieds de fèves « dans la serre du fond », si hauts, si beaux qu'ils ont basculé sur les petits pois d'un côté, sur les salades de l'autre. On ajoutera une hauteur de fil dès les premières pousses, l'an prochain. Positionner des pieds, de façon à créer une barrière le temps de la dernière pousse des fèves, les tiges sont fragiles, ne pas les casser est difficile. Trio subtil entre nos deux mouvements et celui des plants de fèves : soulever les tiges, les remonter, planter le poteau, l'enfoncer à la masse, laisser les tiges trouver leur nouvelle tenue, se déplacer de quelques pas, aller chercher un nouveau poteau, pendant que l'un soulève de nouvelles plantes, etc. La fragilité des tiges nous fait rompre quelques beaux plans gorgés de gousses de fèves. Préparer les pieds de tomates dans la serre : dérouler chaque tuteur constitué d'un fil enroulé sur un support métallique. Je les reconnais après l'épisode « Tutta absoluta » de mon arrivée en septembre. Bloquer le fil déroulé à une extrémité, avec un bois de la bonne longueur, crocheter le fil au cordeau aérien qui longe la serre ; dérouler jusqu'au pied de tomate, Manu les enroulera sur chaque pied le lendemain. Je cherche à doubler mon geste dans les rangs, faire deux pieds de tomates à la fois, mais le systématisme sur un seul rang est plus confortable et plus efficace! Manu me propose de conduire le tracteur, j'interromps mon accrochage de pieds de tomates, pour le rejoindre quand j'entends le tracteur arriver dans la serre voisine, chargé de fumier. La conduite m'enchante comme la découverte d'un nouveau jouet démesuré! Je dois trouver la bonne vitesse pour que Manu puisse étaler le fumier convenablement, il est juché dans la benne accrochée au tracteur, nous roulons doucement. À la fin, il lui faut racler la benne. Ralentir, changer de vitesse, tourner, puis traverser la serre en troisième vitesse m'enchante! Je me demande comment Manu s’y prend quand il est seul. Le duo en maraîchage me semble une évidence pour de multiples tâches. Je retourne aux tomates. La serre monte en température, la soif monte. Une sensation de soif me fait m’interroger sur celle des tomates, moins arrosées, elles ont plus de goût paraît-il. Un célèbre maraîcher nantais travaille sur le stress des tomates pour expérimenter les variations de textures, jus et sucres du fruit. •mai 2019 :

Récolter de la rhubarbe : Manu n'est pas encore arrivé ce matin, “cueille les plus grosses tiges” m'a-t-il précisé par message, il m'a confié un couteau, je cherche comment tourner, couper, détacher les plus grosses tiges du pied sans casser les petites. Elles se déchirent souvent, je coupe, le geste me paraît « violent », sec. Je coupe ensuite les grandes feuilles. “Les laisser sur place donne peut être l'information aux autres qu'elles vont être sacrifiées bientôt?”. Je m’interroge. Il faut déposer les feuilles sur le sol plus loin, pour amender le sol. Les feuilles sont toxiques, pour l'alimentation, mais pas pour la terre. Le geste doit être sûr et franc, pour que se détache la tige. Celle-ci est rosée, un peu rougie pour être bonne mais quelques vertes feront exception tant leur taille est suffisante. Les fleurs de chaque pied sont coupées, les têtes au sol, elles demanderaient trop d'énergie à la plante qui doit tout consacrer aux tiges, les pieds repoussent de toute façon chaque année. Les tiges des fleurs sont de véritables flûtes! Des tubes d'une épaisseur incroyable sur lesquels je joue avec la pointe de mon couteau, et ça sonne! C'est un instrument qui se joue sur pied, une fois coupées, elles sèchent très vite. Vingt kilos de rhubarbe représentent deux grandes caisses, cette cueillette me semble un massacre, très peu de tiges se détachent facilement. Leur agencement, par croisement depuis un cœur torsadé par chaque tige me fascine. Récolter l'oseille : le carré des plantes aromatiques nécessite un grand travail de désherbage, certaines plantes sont presque étouffées. La menthe aurait du être taillée, le persil cherche la lumière, la ciboulette monte en graine mais cela ne pose pas de soucis. Peu de gens apprécient la ciboulette, peut-être en ont-ils dans leur jardin, me dit Manu. Je note ici un chantier possible pour les ateliers que je mène désormais le mardi matin : désherbage du carré aromatique. Il s'agit maintenant de faire soixante treize fagots d'oseille. Trois coups de ciseaux dans une botte, un élastique, et le jeu consistera à les faire les plus réguliers possible. Manu accroupi, à genoux, courbé en deux, entasse les fagots. Nous ne disposons que d’une seule paire de ciseaux. Je pars aux pommes de terre. Ramasser les pommes de terre nouvelles : Deux rangs sous serre, deux variétés inédites, celles de l'année dernière n'étaient pas assez sucrées. Le rang des “Belles de Fontenay” est un peu jauni, on commencera par celles-ci. Ont-elles bien donné? Ce sera la surprise, combien sont cachées sous terre? En aurons-nous assez pour tous les paniers de la semaine? Oui, elles sont belles, mais petites, on mange la peau alors il faut veiller à ne pas en oublier, pas même les petites, il nous faut du nombre! Une petite pluie me fait apprécier la serre. Un coup de fourche sous la plante, pas trop près pour ne pas percer le tubercule « précieux ». On les appellera les précieuses, les nouvelles pommes de terre attendu des clients. Retirer la plante, secouer un peu, retirer toutes les pommes de terre, laisser la plante dans l'allée, et fouiller, fouiller, fouiller, la terre pour récolter jusqu'à la petite dernière. Les mains plongent, les ongles s'épaississent, l'odeur m'inonde, bientôt mes mains sont nervurées de terre. Certaines plantes résistent à la fourche, d'autres se soulèvent d'une motte bien propre. Le coup de pied sur la fourche doit être net, précis, incisif pour percer le sol, le pied de la plante est toujours le même, il s'aiguise au fil du rang.Trois cagettes se remplissent assez vite, les calibres des pommes de terre varient fortement. Le soleil perce de plus en plus. Le rang des poivrons derrière moi accueille mes gilets, et chemises trop chaudes, retirés successivement. Je réalise que cela fait longtemps que je n'ai pas connu la soif à ce point. Manu arrive et ouvre la grande porte de la serre qui ne risque plus le vent matinal. JB, l'autre maraîcher, me salue au loin, il met en marche le système d'arrosage, les gouttes à gouttes chantent puis laisse ruisseler l'eau près des pieds de légumes. Cela semble étancher ma soif! Les pommes de terre n'ont pas assez donné, remarque Manu, la terre semble bien sèche. Une vanne est restée éteinte quelques jours, cela a peut être suffi à réduire la production. Poser les caisses sur la brouette. Elles sont bien lourdes. Rouler. Récolter les fèves : c'est la forêt vierge, les pieds sont très hauts et très denses, les gousses splendides, nous les avions semés ensemble, “ce sont tes semis, les bonnes vibrations du semi direct”, me dit Manu, “c’est l’idéal, le semi direct, je n'ai jamais eu de fèves aussi belles!”. C'est la première fois qu'il en fait sous serres, cette serre est peut-être mieux orientée que celle de JB dont fèves sont un peu plus petites et couvertes de pucerons. Il est bien rare de ne pas avoir de pucerons sur les fèves. Retirer les gousses par le bas, garder la cosse comme pour les petits pois. Cueillir les plus basses, les plus grosses, les tâter pour vérifier qu'elles sont bien pleines, pas molles, accompagner la gousse vers le bas, faire attention au pied de la plante très fragile. Je suis frappée du contraste, une tige si friable, une plante si délicate avec des légumes si solides! On observe le tissu interne des gousses, si doux, si dense! Manu me dit que le moelleux dans les gousses est un peu comme le placenta, ce qui reste de la fabrication des fèves, comme après l’état embryonnaire, “enfin j'extrapole peut-être un peu!” dit-il! On en goutte quelques-unes. Le reste du temps de la cueillette, Manu m'apprend qu'il a un âne chez des amis à quelques km d'ici, prévu pour s'installer maraîcher en traction animale, son premier projet! Son âne vieilli, il faudrait le dresser, faire des essais, mais la densité de travail et le rythme actuel ne permettent plus de ré-envisager ce projet. C'est l'installation en duo qui l'a “piégé”. Les investissements pour le système d'irrigation, les outils du tracteur, etc, ont été mutualisés, c’était pertinent, sur ce site partagé à 2. La proximité de la ville promettait une vente facile. Mais le projet de départ s'est déplacé, “oui, ce serait génial de revenir à la traction animale avec cet âne!” mais il faudrait de l'aide, un dresseur qui fasse des essais au moins dans les serres. Les champs sont aussi assez petits pour cela peut-être ici et il faudrait un tout nouvel outillage. L'intérêt est de fabriquer les outils adaptés à l'âne, cela existe, et ce serait un beau projet de contribuer à développer cet outillage-là. À réfléchir, le désir renaît! Le lendemain matin, en arrivant pour aider à la réalisation des paniers de la semaine, je rencontre Yves, maraîcher à Saint-Jean de Boiseau, installé sans électricité, avec un forage à trente mètres de profondeur seulement pour son arrosage, alors un groupe électrogène suffit. Heureusement le raccordement électrique coûte cent euros du mètre linéaire, à la charge de l'agriculteur, il ne faut pas être loin d'un hameau en campagne pour ne pas se ruiner! L'idée était que l'énergie soit solaire, mais ça ne marche pas bien, et le développement d'outillages “low tech” dans cet esprit est devenu trop difficile ; pris par les trois hectares de production de légumes, il ne reste plus de temps pour le développement du projet ; là aussi, il faudrait du relais, des expérimentations de “l'atelier paysan” par exemple, l’association nationale qui testeraient du petit outillage dans des petites exploitations de ce type. Sans électricité, sans aide de l'État, la “ferme low tech” d'Yves, comme il la nomme lui-même est très surveillée, la métropole de Nantes n'a qu'une frousse, que le modèle de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. La multiplication des ZAD mettrait hors de contrôle les productions et leurs circuits. Des contrôles ont lieu régulièrement chez Yves, surtout pour vérifier qu'il n'y a pas d'habitation sur place…ce qui est un grand frein au développement et d'une grande incohérence dans une démarche de résilience et de régénération des pratiques et modes de vie agricoles. “Il faut composer avec les normes pour exister, même sur nos toutes petites surfaces” (Yves).Les terrains de l'agglomération Nantes-Saint-Nazaire sont très mauvais pour les cultures, “on a pris ce qui restait”, disent les maraîchers au moment du café ce matin, JB, Manu et Yves, l’invité du jour ; “les anciennes décharges, les déchetteries, les zones polluées, pour nous installer en bio en plus!” Ici beaucoup d'anciens terrains viticoles sont attribués à la production maraîchère, mais le sol gorgé de cuivre bloque la croissance de certains légumes, les choux particulièrement, tout type de choux, les poireaux aussi. Les 2 maraîchers des Couëts ont bien expérimenté ce paramètre ! Dépolluer un sol de cuivre est très difficile, “il nous faudra ramener de la bonne terre pour pouvoir continuer à cultiver ici”, assure JB. Je prends RDV avec Yves pour découvrir sa ferme en bord de Loire. La discussion se poursuit par l’échange d’astuces et techniques pour “agrandir l'espace sur une même surface”, une formule en guise de conclusion de la pause café, que l’on retient ensemble. Paniers de la semaine : pommes de terre, fèves, oseille, salade, courgettes. Manu parle de sa “composition” des paniers, comme un fleuriste ou un artiste qui cherche à être au plus juste ; il s'agit d'équilibrer volume, prix par légume et coût total du panier, tout un art.. Je propose d'ouvrir et fermer les serres quelques week-end où je suis disponible : veiller aux gelées nocturnes, ventiler, bien couvrir les petits plans. Des sms me précisent la météo et les plans fragiles à protéger. Faire alliance avec le végétal et la météo. Les maraîchers me proposent de rencontrer Mr Batard qui connaît bien l'histoire du site, un historien amateur, agriculteur de vaches laitières, il connaît l'histoire de l'époque de l'occupation allemande, il est démineur, il a récemment retrouvé un avion sur son terrain! Manu me propose un espace dans son hangar pour y positionner un atelier d’expérimentation avec des encres végétales, pour des partages avec quelques artistes, mes prises de notes et autres “traces” artistiques du lieu intéressent les maraîchers. Deux moments de partagent artistiques se profilent : une semaine de contributions d’artistes, chercheurs, scientifiques fin juin « Agrilab » et « Champs d’écoute » en septembre, un temps d’écoute poétique d’histoires du site et de diffusion sonore de captations effectuées avec les maraîchers dans les champs avec la bineuse quelques mois plus tôt. … Marina Pirot – (2019-2020) - Des partitions IBM - maraîchage s'esquissent et des pratiques corporelles en groupe les mardis matin aux Couëts.

journal_de_bord_chez_les_maraichers_des_couets.txt · Dernière modification : 2024/02/08 17:14 de 127.0.0.1